Tickets de métro - Déc. 2018


LA MAQUILLEUSE du RER A – trajet Val de Fontenay => Châtelet Les Halles

 

Une femme aux cheveux châtains mi-longs rentre dans le wagon à Vincennes. Bottes hautes, style Harley, collant très opaque, long manteau gris et large sac à main sur l’épaule ; l’allure est assurée. Elle descend les quelques marches pour se rendre au niveau bas du RER et scrute l’espace pour identifier les places disponibles. Elle se glisse sur le seul fauteuil libre : le siège du milieu de la première rangée de trois ; celui dont personne ne veut, dans le RER comme dans l’avion : on y est serré, mal à l’aise. Effectivement, la voilà entre un homme gigantesque tout de marques vêtu et une adolescente avachie, jambes écartées mais visage fermé.

Ça ne gêne pas Madame qui s’installe confortablement : elle déboutonne un peu son manteau gris, pose son énorme sac noir Mickael Kor sur ses genoux, cherche à l’intérieur pour en sortir une petite pochette qu’elle dispose ouverte sur le dessus. Elle commence par sortir un pot de crème qu’elle applique d’une main sur son visage, l’autre ayant déjà saisi le petit miroir dans la pochette. Il est clair qu’elle est rompue à l’exercice.

Crème teintée pour unifier, Miroir. Crayon à lèvre, Miroir. Rouge à lèvre, mouchoir pour enlever le trop plein puis lisser, miroir. Mascara et fard à paupières, miroir. Rééquilibrage du regard en remettant du mascara à gauche, miroir. Coup de crayon noir et de mini-brosse sur les sourcils, miroir. Elle profite de l’arrêt à Nation pour poser le trait d’Eyeliner qui demande de la précision et ne supporte pas les balancements du train. Quand la sonnerie annonçant la fermeture des portes résonne, elle attaque l’étape suivante : réajuster sa coiffure. Mais le cheveu est plat et gras ; elle les lisse tant bien que mal avec le bout des doigts ; miroir. Elle ne pourra pas faire mieux. Elle range le miroir, referme la petite trousse et la remet au fond du cabas noir.

Ses voisins vont être contents que ça s’arrête car cette séance de maquillage ne s’est pas faite sans coups de coude à gauche comme à droite. Mais ils n’ont rien dit, trop pris dans leur monde, chacun un casque vissé sur les oreilles. L’adolescente rêveuse descend à Gare de Lyon, le géant des marques également : Doudoune Northface, chaussette Adidas qui recouvre le jogging Nike et basket Air Jordan ; il ne manque plus que… ah non, il sort le bonnet Under Armor de sa poche ! La tenue est complète, il peut descendre !

Le wagon presque vide, Madame se recoiffe en se regardant dans la vitre. Satisfaite, elle farfouille à nouveau dans l’énorme sac et en sort Anna Karénine de Tolstoï.  Elle commence à lire mais son portable l’appelle. Elle place rapidement son passe Navigo entre deux pages et part à la recherche du téléphone. « Allo » ; Je vais peut-être savoir où va Madame ! Va-t-elle à un rendez-vous galant ? un repas de famille ? Commence-t-elle ou finit-elle sa journée de travail… Difficile à dire… le train s’est arrêté à Chatelet, je dois descendre… 

 


LA LECTRICE du Métro ligne 4 – trajet Mouton-Duvernet - Les Halles 

 

Je me précipite dans le métro au moment où les portes se ferment. Je me glisse entre les nombreux passagers et je m’installe entre les 2 rangées de 3 fauteuils placées de part et d’autre du couloir. Accrochée à la barre du plafond, j’observe mes voisins assis, dans l’espoir d’en détecter un sur le départ. Une jolie et jeune brunette plongée dans la lecture d’un livre m’interpelle. Enfin ce n’est pas tant elle, clairement habillée pour un samedi soir à Paris, que son livre recouvert d’un tissu violet qui arrête mon regard. Qui recouvre encore ses livres ? Avec du tissu en plus! Et violet !

Chanceuse, le siège situé entre la porte et la lectrice se libère à la station suivante. Après le froid polaire des rues parisiennes, j’atteins la surchauffe dans ce métro bondé. Je tente donc, avec moultes gesticulations à me défaire de mon manteau et de mon écharpe. En même temps, je jette des coups d’œil rapide à ma voisine et surtout à la page ouverte : des phrases surlignées en jaune fluo ici et là un petit cœur violet dans une marge. Que surligne-t-elle ? Les phrases qu’elle trouve belles ? Les répliques légendaires de cinéma ? Un jeu de mot bien placé ? Une pensée profonde et unique … La couleur du petit cœur et de la couverture en tissu me rappelle qu’une amie, qui aime beaucoup le violet, m’a un jour avoué avoir recouvert un livre car le sujet était un peu osé ; elle évitait ainsi les commentaires déplacés dans les transports en commun. Cette fois, ma curiosité est piquée à vif. Il faut que je voie ce que cette jeune demoiselle dévore avec tant de passion.

Je me cale dans le fond du fauteuil, prend l’air dégagé, pas du tout intéressé et regarde de plus près ce livre. Je scanne la page. Les bribes de phrases fluorées sont sans queue ni tête, et sans intérêt, du genre « en vérité, je vous le dis, je suis la porte des brebis ». Je me décide donc à gâcher le mystère et à regarder le coin situé en haut à gauche pour trouver le titre du bouquin : Jean II… Ça ne sent pas le livre érotique. Le petit cœur violet se trouve en face d’un titre : « 10 - Jésus le bon berger ».

Déçue ? un peu. Surprise ? beaucoup : il semble qu’érotisme et religion se rejoignent sur un point : pour vivre heureux, vivons cachés !

 


LES INCONNUES du Métro ligne 4 trajet Mouton Duvernet - Chatelet

 

8h18 : Le portable m’annonce que je suis en retard ce matin. Mes yeux quittent l’écran du téléphone et passe au niveau des visages. Assise dans un carré de 4 places, j’observe les 2 femmes assises en face de moi. Une mère et sa fille ; c’est obligé, elles se ressemblent tellement ! Même visage rond, même bouche triste, même vernis bordeaux qui déborde, même mâchage bovin de chewing-gum.

La fille est rivée sur son portable, écouteurs aux oreilles. Elle ne donne pas l’impression de prendre beaucoup soin d’elle : son corps charnu est contraint dans un jean gris moulant peu valorisant. Une raie au milieu met en avant un cheveu plat et gras. La peau, grasse également, est peu maquillée. Seul un gros trait d’eyeliner au-dessus de la paupière accentue son air de chien battu. Le vernis bordeaux dépasse sur le contour de l’ongle, lui-même rongé. Des traces d’un essai de rouge à lèvres sont encore visibles sur sa main droite. Elle porte, en bandoulière au-dessus de sa veste en jean grise, un sac en tissu IESA, l’école de la culture et du marché de l’art, … Est-elle étudiante là-bas ? Impossible !

Doudoune noire, jean noir, bottines noires, vieille écharpe rose : le maquillage et la tenue de la mère la mettent plus en valeur mais les mains ne sont pas mieux entretenues. Peaux mortes rongées, elle doit même avoir l’ongle du pouce droit coupé trop court ou cassé car elle l’a entouré de scotch. Elle a deux sacs, l’un en cuir gris et l’autre en toile Mark & Spencer. Travaille-t-elle là-bas ? Possible !

Pendant un quart d’heure pas de sourires, pas de paroles, pas de regards non plus. Finalement, se connaissent-elles ? serais-je capable d’être assise 15 mn près de ma mère dans une indifférence totale ? Impossible !

Je les observe de plus près. Physiquement parlant, elles ne se ressemblent pas tant que ça, les visages sont ronds, mais pas le même rond. Les lèvres sont tombantes, mais pas les mêmes formes de lèvres… Ça serait donc deux étrangères ? Possible !

8h34 : La mère étire son chewing-gum vert avec sa langue et esquisse une petite bulle maigrelette. Dégoutant ! Je me lève, pas mécontente d’arriver à Châtelet. A la porte du métro je me retourne une dernière fois pour les regarder. La fille étire son chewing-gum vert avec sa langue puis forme une bulle. Impossible… possible ! 

 

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